Qui dit temps libre – quoique contraint et forcé – dit aussi réceptivité du public à de nouvelles formes d’art. A l’heure de la pandémie, le monde de la culture est ainsi tenu de se réinventer et avec lui, celui des relations culturelles franco-russes.
Des mécènes privés de plus en plus rares, des aides publiques incertaines venant d’États déjà fortement sollicités durant la crise et un marché qui se rétrécit à vue d’œil : le coronavirus n’aura pas épargné le secteur culturel, en France comme en Russie. « Deux immenses pays de culture », comme l’a rappelé Pierre Lévy, ambassadeur de France en Russie, à l’orée d’une rencontre virtuelle organisée le 23 octobre dernier entre différents acteurs du milieu culturel franco-russe. Ce dialogue, intitulé « Economie de la Culture en France et en Russie face à la crise sanitaire : impact, enjeux et perspectives », a permis aux professionnels du secteur des deux pays de mettre en commun l’expérience acquise depuis le début de cette crise sanitaire.
« «La force de l’art, c’est la force d’une expression vivante », rappelait quant à lui Mikhaïl Chvydkoï, critique d’art et représentant spécial auprès de la présidence de la Fédération de Russie pour la coopération culturelle internationale. Plus facile à dire qu’à faire, en temps de confinement. Pour continuer à travailler, les professionnels du secteur n’ont d’autre choix que de s’adapter et de se transformer. »
Prenons les artistes du théâtre Bolchoï à Moscou : afin de respecter la distanciation sanitaire, ils se produisent devant une salle vide de moitié depuis le premier confinement. Tandis que la programmation du mythique théâtre a été modifiée pour les trois années à venir. Depuis le 13 novembre, les théâtres, cinémas et salles de concerts de la capitale russe doivent restreindre leur capacité d’accueil à un quart de leur maximum.
Du côté des musées, c’est sensiblement identique. Pour limiter le risque de contamination, les équipes du Musée National des Beaux-Arts Pouchkine de Moscou travaillent, depuis le premier confinement, à distance et en ligne de moitié, l’autre moitié en présentiel.
Des mesures qui ne suffisent malheureusement pas à enrayer une baisse de l’activité. Pour Natalia Metelitsa, directrice du Musée National d’Art théâtral de Saint-Pétersbourg, la fréquentation habituelle (200 000 visiteurs par an en moyenne) a été divisée par trois avec la crise sanitaire. Si l’on parle cinéma : au centre culturel Pobeda de Novossibirsk (Sibérie), le 14ème Festival du film français s’est quant à lui bel et bien tenu, et ce malgré une baisse de fréquentation de l’ordre de 20%. Entre les 25 et 28 octobre 2020, une série de films français a ainsi été présentée au public sibérien. Un événement culturel oragnisé en partenariat avec l’Alliance Française de Novossibirsk et l’Institut Français de Russie. Avec le reconfinement, Irina Krasnopolskaya, directrice du centre Pobeda, anticipe déjà une perte de 80% de son chiffre d’affaires pour 2020.
Toute crise comporte cependant son lot d’opportunités, et le monde de la culture n’échappe pas à la règle. Voilà bel et bien une occasion de se remettre en question et de réfléchir notamment à la manière d’utiliser au mieux les outils du numérique pour servir le secteur. Pour rendre chaque spectacle vivant malgré tout. A l’heure où les gouvernements français et russes multiplient les mesures limitant l’activité du secteur, Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du théâtre de la Ville et du Festival d’Automne de Paris veut rappeler « le rôle essentiel des établissements de loisirs, dont le théâtre, dans la formation intellectuelle de la jeunesse. »
C’est cette même jeunesse qui, pendant le premier confinement, a assuré une fréquentation importante aux sites Internet des grands établissements culturels. En effet, le nombre d’activités en ligne liées au monde de la culture a explosé avec le confinement. A titre d’exemple, 40 000 spectateurs ont été attirés par les projections en ligne de spectacles étrangers (parmi lesquels des spectacles français) mises en ligne par le Festival des Arts Platonov de Voronej, une ville deux fois millionnaire de la Russie occidentale, située à 450 km au sud-est de Moscou. Un exemple de succès pour le secteur culturel russe, et un essai qui reste à transformer… Ce que s’apprête sans doute à réaliser le centre culturel Pobeda de Novossibirsk évoqué plus tôt : après avoir constaté le rajeunissement de son audience, ce centre culturel de Sibérie a décidé de lancer la création d’un centre de formation cinématographique à destination de la jeunesse sibérienne.
Marina Loshak, directrice du musée Pouchkine : « il faut se réorganiser mentalement »
Entre autres craintes qui persistent, certains acteurs s’inquiètent qu’à terme, les spectateurs les plus démunis restent derrière leur écran, et que l’accès direct à la culture ne se restreigne, pour finalement ne concerner désormais qu’une petite élite fortunée. Une crainte formulée également par le critique d’art Mikhaïl Chvydkoï et plusieurs professionnels du secteur.
C’est déjà un fait : les projections artistiques numériques vont se multiplier dans les années à venir. Pour Marina Loshak, directrice du Musée National des Beaux-Arts Pouchkine de Moscou, « il faut inventer d’autres activités », afin que l’interaction entre le visiteur et le musée ne se résume pas à une suite d’images que l’on fait défiler en quelques clics : il faut donc « se réorganiser mentalement ». Selon elle, la pandémie peut également être utilisée comme tremplin pour la création des nouvelles formes artistiques en ce début de XXIème siècle. Le Covid-19 a contribué à réinstaurer des frontières physiques entre les peuples ; une frontière que l’on se doit de transgresser à coup de productions culturelles en ligne.
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