Immigration, diaspora et réseaux d’influence azerbaidjanais en France

L’Azerbaïdjan est situé à l’est du Caucase, à la croisée des chemins entre Orient et Occident. Historiquement, la région est ballottée entre influences turque, perse puis russe. Le pays connait une première tentative d’indépendance après l’effondrement de l’empire russe, mais la République Démocratique d’Azerbaïdjan ne survit pas à la révolution (1918-1920). Bakou devient capitale de la République d’Azerbaïdjan indépendante en 1991, à la chute de l’Union Soviétique.

Les migrants azerbaidjanais arrivent en France par vagues. Les « blancs » et l’intelligentzia d’abord, pendant les années 20, puis les anciens prisonniers, déserteurs ou résistants ensuite, pendant et après la seconde guerre mondiale. Enfin l’immigration devient économique, à partir les années 80 jusqu’à aujourd’hui.    

Aujourd’hui, l’état azerbaidjanais soutient de nombreuses associations à travers le monde, aussi bien en Russie, en Amérique du nord ou en Europe. La diaspora est devenue un volet à part entière de la politique étrangère de Bakou afin de renforcer ses positions à l’internationale. Elles sont utilisées comme leviers d’influence dans les pays de résidence de la diaspora, en particulier à des fins politiques. Cette stratégie directement inspirée de l’exemple du rival arménien a été adopté après la défaite de 1994 dans le Karabagh.

Dans le contexte actuel, il est important de rappeler que des mécanismes similaires de lobbying arménien existent en France. Alors que la « guerre des 44 jours » s’achève dans le Karabakh, cette étude n’a pas vocation à nier un tel phénomène, mais entend se concentrer exclusivement sur les réseaux azerbaidjanais. Cette étude ne fournit pas d’élément comparatif ; c’est un état des lieux des organisations azerbaïdjanaises pouvant avoir une influence sur la vie politique et sociale française.

Carte de l’Azerbaïdjan

La première partie de ce travail se concentrera avant tout sur la question de la diaspora ; nous nous attacherons à définir la notion de diaspora azerbaidjanaise, ainsi qu’à exposer les spécificités de cette dernière. La deuxième partie de ce travail s’attardera sur la question des médias et de la production culturelle de la diaspora en France. La troisième et dernière partie insistera sur les réseaux azerbaidjanais dans la France d’aujourd’hui ; nous évoquerons l’influence de ces réseaux sur le monde politique français. 

Une diaspora azerbaïdjanaise ?

L’immigration des azerbaïdjanais en France ne débute pas avant le 19ème siècle, mais les rapports commerciaux, puis diplomatiques, se développent dès le 9ème siècle entre le Royaume Franc et le Califat Abbasside. Un premier accord commercial liant la France et l’Azerbaïdjan est signé en 1708 entre les Séfévides et la France. A partir du siècle des Lumières, l’élite culturelle française s’intéresse à cet Orient lointain : en 1697 les premières informations concernant la culture azérie sont apparues dans la Bibliothèque orientale de Barthélémie d’Herbelot.

L’instabilité politique, facteur accélérant de l’émigration

L’instabilité politique qui ébranle le Caucase tout au long de l’Histoire explique la présence d’une diaspora azerbaidjanais tout autour du pays. 600 000 azerbaidjanais vivent en Russie, 350 000 en Géorgie. Les guerres russo-turques et russo-persanes du 18ème et 19ème siècle, les politiques de russification et de christianisation forcées des populations azéries sont autant de facteurs expliquant la fuite en direction de la Turquie et l’Iran, puis vers les grandes capitales européennes. La migration en direction de l’Occident durant le 20ème siècle est aussi la conséquence d’évènements politiques majeurs : l’effondrement de l’Empire tsariste et l’installation du pouvoir soviétique à Bakou mettant fin à l’éphémère République Démocratique Azerbaïdjanaise (1918-1920).

Les mouvements révolutionnaires qui ébranlent les empires orientaux dans les premières décennies du 20ème siècle sont autant d’autres facteurs de migrations. La révolution russe de 1905 et bolchévique de 1917, le mouvement des Jeunes Turcs de 1908 et les évènements menant à la révolution constitutionnelle iranienne (1906-09) participent à la prise de conscience de la nécessité d’une destinée nationale par l’intelligentzia azérie de l’époque. Le rêve se concrétise en 1918 : le 28 mai, les « pères de l’Azerbaïdjan » fondent la République Démocratique d’Azerbaïdjan sur le cadavre de la République Démocratique et Fédérative de Transcaucasie. En cette période incertaine, les leaders du mouvement national azerbaidjanais comme Mammad Hasan Hajinski, Mammad Amin Rasulzade, Alimardan Totchoubachov ou encore Fatali Khan Khoyski sont partagés entre stratégie transcaucasienne, panturquisme, panislamisme et construction nationale. Beaucoup devront quitter leur jeune nation avant l’arrivée des bolchéviques à Bakou en 1920.  

Le 28 Décembre 1918, la jeune république prend la décision d’envoyer une délégation à la conférence de la Paix de Paris, dans l’optique d’obtenir de la part des grandes puissances une reconnaissance internationale de la « première république d’Orient ». Certains représentants diplomatiques de la République Démocratique d’Azerbaïdjan s’installèrent en France suite à l’invasion soviétique.

En 1919, le parlement azerbaïdjanais vote une loi sur la création d’un budget destiné à l’envoi d’une centaine d’étudiants à l’étranger, pour qu’ils suivent une formation supérieure. La plupart des 45 étudiants azerbaïdjanais restèrent vivre en France. D’après R. Aboutalibov (2004), la première association azerbaidjanaise d’Europe fut créée à Paris, le 28 Avril 1920 sous le nom d’Association Emigrante Azerbaïdjanaise. Il existe également les traces d’une Amicale Etudiante Azerbaidjanaise fondée dans les mêmes années.

La deuxième vague migratoire se déroule après 1945. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, beaucoup d’anciens prisonniers de guerre soviétiques ne retournent pas dans leur pays natal. D’autres participent à la Résistance armée dans les Alpes, avec les réseaux communistes français et italiens et s’y installent ensuite.

La troisième vague prend place dans les années 70/80. Les politiques de la perestroïka et les premiers grands accords internationaux sur les déplacements des personnes permettent à quelques milliers d’azerbaidjanais de venir s’installer en France. Les raisons sont principalement d’ordre économique ; la recherche de bien-être et d’une vie plus agréable. 

Diaspora et sentiment national

Selon le Dictionnaire de la Géographie de P. Georges et F. Verger, une diaspora est une « collectivité ethno-culturelle diffuse hors de son milieu originel ». La diaspora azerbaïdjanaise ne se compose pas uniquement de citoyens de l’Azerbaïdjan.  Il faut avant tout insister sur une distinction importante entre azéri et citoyenneté azerbaidjanaise.

Groupe ethnique d’origine turcique, Les azéris vivent principalement entre le nord-ouest de l’Iran (15 millions), la République d’Azerbaïdjan (8,5 millions) et l’extrémité est de la Turquie (1 million). Le terme même d’azerbaidjanais n’a pas plus d’un siècle, puisque la littérature du 19ème siècle fait d’avantage appel au terme turc azéri (en perse, azéri désigne aussi bien la langue que l’ethnie), ou encore tatar caucasien pour parler des habitants de l’Azerbaïdjan. La région du Karabakh et la frontière irano-azérie constitue le cœur de peuplement originel des azéris dans la région. En azéri, le terme soydas caractérise les azéris hors d’Azerbaïdjan dit « de même race » (sic) et le terme vetendes les azéris « de même patrie », qui possèdent la citoyenneté azerbaïdjanaise. 

Cependant, les statistiques des azerbaïdjanais en France sont biaisées et utilisées à des fins politiques. Les autorités de Bakou ont tendance à vouloir exagérer le nombre de ses ressortissants vivant à l’étranger, en incluant les turcs azéris et les iraniens azéris dans leurs statistiques. Ainsi, 1 million d’azerbaidjanais vivraient aux Etats-Unis, 300 000 en Allemagne, 170 000 au Royaume-Uni. D’après les estimations faites par le Comité d’Etat Azerbaïdjanais pour les Relations avec la Diaspora, les azéris vivant en France seraient environ 70 000. Cette estimation englobe vraisemblablement les azéris d’origines turque et iranienne vivant dans l’hexagone.

Comme l’explique Vazeh Asgorov dans l’une de ses publications, enquêtes à l’appui, le sentiment national  azerbaidjanais n’est pas marqué dans ces populations. Beaucoup ont adopté les mœurs de leur pays d’accueil, d’autres encore se considèrent turcs ou iraniens… En ce qui concerne la diaspora azerbaïdjanaise en Occident, on pourrait presque parler de « diaspora fantasmée ».    

Médias et productions culturelles des azéris en France

L’arrivée de la diaspora en Occident s’accompagne d’une augmentation du nombre de publications sur l’Azerbaïdjan, et aussi à destination des azerbaidjanais en France. Les luttes politiques que connaissent le pays vont marquer la production littéraire. Même si au début du siècle, la Turquie et l’Iran constituent les bases-arrière de l’intelligentzia en exil, la France devient un des principaux points de chute de la diaspora après la Conférence sur la Paix.

Faire connaître l’Azerbaïdjan aux français

Les premiers écrivains azerbaidjanais sont publiés à Paris à la fin du 19ème siècle. La plupart sont des fils de grandes familles. Ils vivent dans la capitale et poursuivent alors leurs études. C’est le cas de M. Shahtakhtinski dont les premiers articles sur la culture azérie sont publiés à Paris entre 1873 et 1875, puis 1889 et 1902 dans plusieurs journaux. C’est aussi le cas d’Ahmed Bey Agaoglu entre 1884 et 1895. Etudiant à Paris, il écrit en arabe en 1884 dans la revue Al-Urwat Al-Wuthqa avec l’aide de D.E. Afghani (1838-1897), homme politique et théoricien révolutionnaire turc.  

Les travaux de la délégation de la République Démocratique d’Azerbaïdjan sont une des grandes fiertés nationales de l’Azerbaïdjan. Entre mai 1919 et avril 1920, les étudiants envoyés par le gouvernement et la délégation à la Conférence pour la Paix de 1920 réussissent à faire publier trois livres, douze bulletins et une carte géographique de l’Azerbaïdjan ainsi que de nombreux articles dans les journaux parisiens. Le 10 janvier 1920, la République française reconnait de facto la République Démocratique d’Azerbaïdjan, plus grande réussite diplomatique d’une délégation qui ne reviendra jamais.

Littérature nationale et mouvement prométhéen

L’un des chercheurs azerbaidjanais qui s’est particulièrement intéressé à la question de la diaspora azerbaidjanais en France est Vilayat Guliyev. Il s’intéresse aux migrations politiques qu’a connues son pays au tournant du 19ème et du 20ème siècle durant lesquels beaucoup d’intellectuels et de responsables politiques ont dû quitter le pays.

Il montre comment, avec la Turquie et la Pologne, la France est devenue une des bases-arrières des partisans de la souveraineté de la République Démocratique d’Azerbaïdjan. A partir de 1926, la revue Azerbaïdjan est imprimée et publiée à Paris par le parti Musavat en exil, et ce jusqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale. La même année, en plein rapprochement turco-soviétique, le siège du  Comité du Caucase de Turquie se déplace à Paris. Mammad Amin Rasulzade et Memmedzade quittent la Turquie pour la France.

Les publications politiques des azerbaidjanais vivant en France mélangent résistance au bolchévisme, panturquisme et idéaux nationaux transcaucasiens antirusses.  Elles s’attirent les bonnes grâces des mouvements littéraires prométhéens d’Europe occidentale. On peut citer la revue Caucase,publiée en français (et aussi en anglais, russe et turc) à partir de 1935 puis en allemand à partir de 1937. Ce mouvement littéraire perd de sa vigueur après la signature du pacte germano-soviétique et le début de la Grande Guerre Patriotique.

Migration et production culturelle azérie en France 

Certains azerbaidjanais se sont particulièrement illustré en  contribuant à la production culturelle azérie en France.  

Ramiz Aboutalibov est né en 1937. Il est diplomate soviétique en poste en France entre 1971 et 1979, puis à l’UNESCO entre 1985 et 1992. Il fait l’historiographie des migrants perdu de la République Démocratique d’Azerbaïdjan en France dans le secret de l’administration soviétique. Il œuvre pour le devoir de mémoire envers les résistants musulmans ayant combattu sur le sol français. Il est à l’origine de la création de la Maison de l’Azerbaïdjan à Strasbourg, puis à Paris. Il est décoré de la Légion d’Honneur française en 1998 pour son rôle dans la construction du dialogue franco-azerbaidjanais.

Umm-El-Banine Assadoulaeff  (1905-1992) est la fille de Mirza Assadoulaeff, ministre du Commerce de la R.D.A et la petite-fille de riches industriels pétroliers. Elle est la première écrivaine azerbaidjanaise publiée en France après la guerre. Son livre Jours caucasiens, qui parait en 1946 et retrace son enfance dans l’Azerbaïdjan pré-soviétique. Convertie au catholicisme, elle signe J’ai choisi l’opium en 1959, une compilation d’extraits de son journal intime qui expliquent le cheminement de sa quête spirituelle.

Togrul Narimanbekov est né en 1930 à Bakou. Son père était venu faire des études en France à la faculté de l’énergie de Toulouse, puis à la Sorbonne, avant de se marier à une française venue vivre en Azerbaïdjan. Togrul devient peintre après des études à l’académie des Arts de Vilnius. Devenu Artiste du peuple azerbaidjanais en 1967 puis Artiste du peuple de l’URSS quelques années avant la chute de l’Union, il devient le premier artiste azerbaidjanais à figurer dans l’Encyclopédie de l’Art contemporain en France. Il termine sa vie à Paris en 2013. Il repose au cimetière de Passy. Aujourd’hui, sa fille Asmar fait connaître son héritage à la diaspora.  

Autre femme ayant marqué l’histoire de la diaspora en France, la docteure Irène Mélikoff, spécialiste des cultures orientales et de l’Islam hétérodoxe turc. Née à Petrograd en 1917, fille d’un riche homme d’affaire de Bakou, elle se passionne pour l’histoire des cultures orientales. Elle étudie à l’Ecole Nationale des Langues Orientales de Paris dans les années 30. Elle enseigne en Turquie pendant la guerre, avant de revenir vivre en France en 1948 seule avec ses deux filles. Elle devient chercheuse en 1951, et valide son doctorat à la Sorbonne. Elle termine directrice de recherche au CNRS en 1963, puis enseigne à l’Université de Strasbourg à partir de 1968.  Elle organise le premier colloque France-Azerbaïdjan en 1984 et s’investit pleinement lors de la création de la Maison de l’Azerbaïdjan. Ses travaux lui valent de nombreux prix, entre-autres :

– Légion d’Honneur du Ministère de l’Education d’Iran, 1973

– Légion d’Honneur du Ministère d’Etat de la Turquie, 1978

– Chevalier puis Officier de l’Ordre des Palmes Académiques, 1978 et 83

– Chevalier de l’Ordre du Mérite, 1994

– Docteure Honoris Causa de l’Université de Bakou, 1996

Décédée en 2009, elle est inhumée selon le rite orthodoxe au cimetière russe Sainte-Geneviève des Bois, en région parisienne.   

La diaspora, un instrument de politique étrangère ?

Depuis l’indépendance de 1991, l’Azerbaïdjan développe un réseau de relais politique dans le but de construire une véritable politique diasporique. L’objectif est de « transformer ces expatriés en groupe de pression » (Gilles Riaux, chercheur IRSEM, Centre d’Etudes turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques). Cependant, on peut faire remonter les origines de cet intérêt à la sortie de la Grande Guerre Patriotique.

Les azéris et les politiques culturelles soviétiques (1945-1991)

En Union Soviétique, l’intérêt pour la diaspora azérie date de la sortie de la guerre. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Armée Rouge envahit l’Iran et occupe les provinces de l’Azerbaïdjan iranien.  Pendant près de cinq ans, l’URSS y mène une politique de propagande anti-iranienne en turc, afin de promouvoir les idéaux soviétiques révolutionnaires au sein des « minorités » azéries d’Iran. La culture azérie devient un outil d’ingérence dans les institutions iraniennes. 

Au cours des années 70, la création d’une presse en cyrillique, en écriture latine et arabe démontre  l’intérêt du public azerbaidjanais pour la question nationale ayant préexisté à la chute de l’Union. La revue la plus connue de la diaspora de l’époque était sans doute Odlar Yundur (« la Terre de Feu »). Elle fournit de nombreux articles à destination des azéris de l’étranger, aussi bien en Russie, en Iran, en Turquie et dans les pays occidentaux.

Autre initiative, celle du poète azerbaidjanais Elcin Efendiyev. Il fonde dès la fin de la décennie 70  une association appelée Veten (« Patrie »), dans le but de rétablir les liens entre les différentes composantes du peuple azéri. Plusieurs milliers de contributeurs se sont mobilisés à travers un organe de presse afin de faire vivre l’histoire et l’actualité de la diaspora. Mr. Efendiyev s’engage dans la vie politique de son pays après l’indépendance.

L’intérêt de l’état azerbaidjanais pour sa diaspora s’est accéléré dans les années 80, dans le cadre de la politique de glasnost ; et encore d’avantage après l’indépendance. En 1987, une première initiative gouvernementale a été prise à Bakou : la création de la Société azerbaidjanaise pour l’Amitié et les Relations Culturelles avec les pays étrangers marque le début de la politique étrangère du pays envers sa diaspora.

Les politiques diasporiques azerbaidjanaises depuis l’indépendance  

La loi de 1998 sur La politique de l’État à l’égard des Azerbaïdjanais vivant à l’étranger stipule que [est considéré comme azerbaidjanais] les citoyens de la République d’Azerbaïdjan et leurs enfants qui vivent en dehors de la République, les anciens citoyens de la République soviétique d’Azerbaïdjan ou de la République d’Azerbaïdjan vivant à l’étranger et leurs enfants, et les individus qui se rattachent à l’Azerbaïdjan pour des raisons ethniques, linguistiques, culturelles ou historiques. Une définition large donc.

Depuis le début des années 2000, les gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays utilisent la diaspora pour magnifier une grandeur renouvelée. A l’image de son voisin turc, et en compétition permanente avec son rival arménien, le pouvoir de Bakou glorifie les « azerbaidjanais du monde » comme une force politique essentielle pour la survie de la nation.  

Le 09 Novembre 2001, le président Heidar Aliyev a inauguré le premier Congrès des Azerbaidjanais du Monde, en présence de représentants de la diaspora venus de 38 pays différents. Le 31 Octobre 2003, Ilham Aliyev « succède » à son père au poste de président de la République. Il organise deux nouveaux congrès, en 2006 et 2011. En 2002, l’association Veten disparait au profit d’une structure étatique beaucoup plus imposante, le Comité d’Etat pour la coopération avec les Azerbaidjanais de l’étranger ; renommé Comité d’Etat pour la coopération avec la diaspora en 2008.

La même année, l’Etat crée un Conseil International pour la coordination azerbaidjanaise présidé par Aliyev en personne. Le 31 décembre devient un jour férié, par solidarité avec les Azerbaidjanais dans le monde et en mémoire du jour du « génocide » de Khojaly. Ainsi, l’Azerbaïdjan entretient également sa compétition mémorielle (peut-on dire victimaire ?) avec l’Arménie.

Pour faire vivre le sentiment national au sein de la diaspora, l’état finance la création d’associations étudiantes. Les étudiants azerbaidjanais sont vivement incités à participer activement à la promotion culturelle du pays à l’étranger. Ces associations s’accompagnent d’organes de presse comme Ölkem Jurnali (Le Journal de mon Pays) servant à relayer le discours officiel en direction des étudiants. Mais cette politique peut avoir des limites : en voulant contrôler par le haut les activités culturelles de la diaspora, le pouvoir central empêche tout développement autonome susceptible d’améliorer l’image du pays auprès des étrangers.

Une influence réelle en France ?

Aujourd’hui encore, les diplomaties azerbaidjanaise et française restent proche. La France a été la deuxième nation à reconnaître l’indépendance de l’Azerbaïdjan dès 1991 (après Israël et avant la Turquie). Le pays a ouvert son ambassade à Bakou en 1992, et l’Azerbaïdjan fait de même à Paris deux ans plus tard. La volonté d’ouverture de François Mitterrand envers les peuples d’Union Soviétique le distingue dans la classe politique française d’alors. Dès 1993, un traité « d’Amitié, d’Entente et de Coopération » est signé entre les deux pays. En 1996, le ministre des Affaires Etrangères De Charrette visite l’Azerbaïdjan afin d’y évoquer pour la première fois depuis 1994 la question de la souveraineté du pays sur le Karabakh voisin. En 1997, la présidence de la République Française invite Aliyev père à Paris. Les années Chirac sont marquées par une augmentation des investissements français en Azerbaïdjan, en particulier sur le secteur pétrolier. Aliyev fils réalise lui-aussi sa première visite en Europe occidentale à Paris, en 2004.

Les présidents Chirac et Aliyev, 1997

Le principal relais d’influence de la famille Aliyev sur la politique française est l’Association des Amis de l’Azerbaïdjan et sa « succursale », le groupe parlementaire Amitié France Azerbaïdjan, présidé depuis 2017 par le député LREM de l’Essonne Mr. Pierre Alain Raphan. Ce groupe parlementaire a beaucoup évolué dans sa composition suite aux dernières élections parlementaires.

L’autre principal relais d’influence est la fondation familiale. Dirigée par Mehriban Aliyev, l’épouse d’Ilham Aliyev, la Fondation Aliyev n’hésite pas à inviter des parlementaires français à de grands évènements sportifs, comme des courses de Formule 1 à Bakou. Selon l’ambassadeur Arif Mammadov, le pouvoir aurait également financé des services sexuels à des élus de la République Française via le fond de la fondation. Dans le cadre de la politique de promotion culturelle, la fondation a financé un Centre culturel azerbaidjanais à Paris, le département des arts Islamiques du Louvre (pour un montant d’un million d’euros), mais également la rénovation d’édifices religieux chrétiens en France, ou encore la rénovation d’une aile du Musée du Louvre. Ce lobbying culturel s’accompagne d’une dimension supplémentaire à l’échelle européenne, menée à Bruxelles par la European Azerbaïdjan Society. Si l’influence supposée de ces réseaux sur les institutions politiques françaises n’est pas très importante, elle reste bien réelle… et croît à mesure que passent les années.  

Conclusion

En 20 ans de migrations, plus de 100 000 azerbaidjanais (au moins 80 000 azéris et une minorité d’arméniens) ont quitté leur pays d’origine pour partir vivre en Occident, dont. D’après l’UNHCR et l’OFPRA (l’Office Française de Protection de Protection des Réfugiés et Apatrides, sur 44 000 demandes d’asiles enregistrées en Occident sur deux décennies (92-12), seulement 3000 ont reçu une réponse positive. Entre 1990 et 2006, 4669 azerbaidjanais se sont installés en France. L’Allemagne, le Benelux et l’hexagone représentent 71% des demandes en Occident.  La France est également le premier pays d’accueils des arméniens d’Azerbaïdjan déplacés après la guerre du Karabagh de 93/94 et la première destination d’exile des familles mixtes azéri-arméniennes.

Même si cette diaspora croît à mesure que passent les années, son sentiment national n’est pas très prononcé. L’état déploie pourtant des moyens considérables pour coaguler et politiser cette ressource humaine, mais la vision que Bakou porte sur les azéris d’Occident reste fortement fantasmée. Cependant, si l’influence sur sa propre diaspora, Bakou fait tout pour promouvoir une image positive du pays auprès des Occidentaux.

Certains élus français participent à cette médiatisation positive : sur le site du groupe Amitié France Azerbaïdjan, son président décrit le pays comme une tête de pont de la promotion des idées universalistes dans le monde arabo-musulmans ; une république présidentielle bien loin d’une dictature sanguinaire (extrait datant de 2020) … bien loin de l’image guerrière que le pays a donné de lui-même l’année dernière.

Sur les réseaux sociaux, le groupe Amitié France Azerbaïdjan n’hésite pas à reprendre les éléments de langage du Ministère de la Défense azerbaidjanais, projetant ainsi l’honneur de l’armée par des politiques de fact-checking à sens unique, en occultant les exactions de ses soldats (des réflexes similaires se sont développés du côté arméniens et pro-arméniens). Si l’influence de Bakou sur le milieu politique français de la part de l’état-Aliyev n’est pas immense, elle reste bien réelle. Bakou a besoin de Paris pour écouler son pétrole, s’assurer la diversification de son approvisionnement en armes de guerre, et que les touristes français découvre la région.  

Pour aller plus loin :

Bibliographie

Gunel SAFAROVA et Fidan KHALILOVA, La diaspora azerbaidjanaise : le passé, le présent et les perspectives futures, IRS-az.com n°10-1, Hiver 2017/2018

Vazeh ASGAROV, L’immigration des Azerbaïdjanais en France : histoire et perspectives (thèse), Histoire, Université de Strasbourg, 2012

Bayram BALCI, Politique identitaire et construction diasporique en Azerbaïdjan post-soviétique, Cahiers d’Asie centrale, 19-20 | 2011, en ligne depuis 01/01/2012 – URL: http://journals.openedition.org/asiecentrale/1451

Gilles RIAUX, La diaspora, un instrument de la politique étrangère de la République d’Azerbaïdjan, Revue internationale et stratégique, Armand Colin, 2013/14 n°92, pp.28-39 – URL: https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-4-page-28.htm  

Sitographie

Composition du groupe parlementaire Amitié France Azerbaïdjan – https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/fiche/OMC_PO733297

Le Lobbying de l’Azerbaïdjan en France  – https://extremismes.wordpress.com/2018/07/16/le-lobbying-de-lazerbaidjan-en-france/

sur Wikipedia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Azerba%C3%AFdjan – Azerbaïdjan

https://fr.wikipedia.org/wiki/Az%C3%A9ris – Azéri

https://fr.wikipedia.org/wiki/Diplomatie_du_caviar – Diplomatie du caviar

https://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_entre_l%27Azerba%C3%AFdjan_et_la_France – Relations entre l’Azerbaïdjan et la France

https://fr.wikipedia.org/wiki/Banine – Banine

https://fr.wikipedia.org/wiki/Togroul_Narimanbekov – Togroul Narimambekov