Revue de presse : Présence de l’industrie laitière russe en Algérie

Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, la Fédération de Russie diversifie ses accès à de nouveaux marchés d’exportations. Afin d’écouler ses productions de pétrole, de gaz ou encore de blé, elle cible des pays « libérés » de l’influence occidentale en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. Une démarche qui s’applique également à l’industrie laitière, alors même que les produits laitiers non transformés ne font pas parti de la liste des produits soumis aux sanctions prises à l’encontre de la Fédération.

La Russie fait partie des cinq principaux exportateurs de produits agricoles à destination de l’Algérie. L’industrie laitière russe s’installe à son tour sur le marché algérien en tablant sur une augmentation des exportations des produits laitiers dans ce pays. En décembre 2023, l’Algérie a importé 500 tonnes de lait en poudre provenant en grande partie de la production de la région de la Volga. Une première que Artem Belov, le représentant de Soyuzmoloko (l’Union Nationale des Produits Laitiers Russes) souhaite bien renouveler : l’Algérie « pourrait devenir, en 2024, le premier acheteur » de lait russe[1] : « la suppression des barrières à l’accès aux marchés algériens pour les produits laitiers en provenance de Russie ouvre de larges opportunités aux exportateurs russes ».

L’Algérie est le principal pays africain importateur de produits laitiers, particulièrement de lait en poudre (LEP). D’après le Département d’Etat de l’Agriculture des Etats-Unis d’Amérique (USDA), en 2023, l’Algérie aurait déboursé environ 800 millions de dollars sur les marchés internationaux pour se procurer du lait en poudre. Après s’être fait une place de choix sur le marché du blé du plus grand pays d’Afrique du Nord, des entreprises russes s’attaquent maintenant à ce nouveau marché[2][3].

« Si nous parvenons à renforcer nos positions sur place, nous pourrons créer des installations de production distinctes et construire des fermes destinées à produire des biens exclusivement pour le marché algérien », a déclaré M. Belov

Pour l’Algérie, produire du lait comme de la viande exige de grandes quantités d’eau pour faire pousser les fourrages et les grains destinés à nourrir les animaux. Une eau devenue de plus en plus rare ces dernières années, notamment dans l’ouest de l’Algérie, du fait de l’irrégularité des précipitations.

« On est passé à une ration de 900 m³/an par habitant en 1963 à 259 m³/an par habitant en 2019 », déclarait un chercheur lors du séminaire sur la question de l’eau en Algérie à l’Université de Tiaret en mai 2024

Début 2022 déjà, Monsieur Khaled Soualmia, alors directeur général de l’Office Nationale Interprofessionnelle du Lait (ONIL), avait indiqué que la valeur de la facture de l’importation de LEP était estimée à 600 millions de dollars US environ.  Sur un total de 400.000 tonnes de lait consommées en une année par le public algérien, l’ONIL assurait l’importation de 200.000 tonnes, tandis que la filière privée importait la quasi-totalité de l’autre moitié de cette consommation[4].   

Pourtant, les objectifs officiels affichés par l’état algérien sont bien différents. En février 2020, à l’occasion d’une rencontre avec les walis (représentants de l’Etat dans une wilaya), l’Office Algérienne Interprofessionnel des Céréales (OAIC) et l’Office Nationale des Aliments du Bétail (ONAB) avaient été critiqué par le président de la République pour leur recours systématique aux importations.  

Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 2018 à 2022, les importations alimentaires algériennes ont connu une croissance annuelle moyenne de 7,3%, atteignant un montant de 11 milliards de dollars. L’Algérie figure aujourd’hui parmi les plus grands importateurs de blé du continent, et se hisse au deuxième rang mondial concernant l’achat de lait en poudre. Le pays est devenu un acteur majeur du commerce agroalimentaire mondial[5].

« La moitié seulement du lait consommé est produit dans le pays et cela est compensé par une fabrication massive de produits laitiers à partir de poudre de lait importée », Christine Goscianski, Institut de l’élevage [français] lors de la conférence Marché Mondiaux Lait et Viande, 11/06/2024

D’après Andreï Koutcherov, haut fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture russe, le quota d’importation de produits agroalimentaires en Algérie a connu une ascension spectaculaire, passant de 336 millions de dollars en 2021 à près de 700 millions en 2022 et 2023 : « [le pays est] l’un des plus dynamiques du continent africain, doté d’un vaste marché alimentaire ».

En 2023, la laiterie Soummam, premier producteur laitier en Algérie, a conclu un accord avec le Ministère de l’agriculture russe pour obtenir une certification sanitaire afin de garantir que les produits importés de Russie soit halal. La laiterie Soummam couvre plus de 50% des besoins du marchés algériens. Selon Makhlouf Bouda, responsable des achats et approvisionnement de l’entreprise, « l’Algérie souffre d’un déficit en poudre de lait, ce qui nous oblige d’importer cette matière » pour assurer leurs productions. L’entreprise a également fait part de son intention d’importer de Russie d’autres produits nécessaires au développement de la production dans le pays[6].

Présence de la Laiterie Soummam en Algérie

A Novossibirsk, la troisième plus grande ville de Russie (plus d’un millions et demi d’habitants), la Crèmerie Chanovsky a obtenu une accréditation afin d’exporter ses produits en Algérie. L’usine de beurre de Chanovsky exporte aujourd’hui du beurre cru, du beurre allégé, du lait écrémé en poudre et du lait entier en poudre. Déjà accréditée à commercer avec le Kazakhstan, l’entreprise a reçu le soutien d’Evgeny Leshchenko, le ministre de l’agriculture de l’oblast de Novossibirsk : « l’entrée sur le marché africain augmenterait considérablement les volumes de transformation du lait dans les installations actuellement inactives » en Russie[7][8]. La Fromagerie de Briansk a elle ouvert des locaux en Algérie et fournit également le marché tunisien.

Pour les années à venir, l’Association Nationale des Producteurs Laitiers Russes prévoit une hausse des exportations de 15 à 20% par an. Les pays du Maghreb devraient représenter un fort pourcentage de ces augmentations. Avant le début du conflit russo-ukrainien, les principaux clients de la Fédération ont été le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ; ainsi que la Chine. Des acheteurs traditionnels des produits laitiers russes depuis l’époque soviétique.

« Nous occupons déjà une position assez confortable sur le marché de la CEI […] », a déclaré Artem Belov

En 2023, la Russie a également commencé à livrer des produits laitiers aux Émirats arabes unis, à l’Arabie saoudite, à Oman, à la Tunisie, à l’Égypte et aux Philippines[9].

Dans les années à venir, la coopération industrielle russo-algérienne pourrait s’étendre à d’autres domaine. En 2023 déjà, des sociétés russes avaient prospecté le marchés algériens grâce au Centre Russe d’Exportation, avec l’aide des équipes de l’Ambassade de Russie en Algérie. Le président Tebboune s’était rendu cette année-là au Sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg[10]. En septembre 2023, un accord a été conclu entre le Ministère de l’Agriculture et l’Agence fédéral russe de contrôle vétérinaire et phytosanitaire Rosselkhoznadzor autorisant l’exportation de viande russe en Algérie. L’arrivée des viandes russes (notamment le poulet) dans l’assiette des algériens soulève de nouvelles interrogations sur l’avenir de l’industrie alimentaire, la souveraineté alimentaire du pays ou encore l’évolution des pratiques culinaires des algériens[11]

Le Président Tebboune au Forum Economique International de Saint-Pétersbourg, Juin 2023

En marge de sa participation au Forum Economique International de Saint-Pétersbourg 2024, Mr Aoun, actuel ministre de l’industrie et de la production pharmaceutique (ancien PDG du groupe pharmaceutique algérien Saidal jusqu’en 2022) a précisé que ses rencontres pourraient ouvrir la voie à de nouveaux partenariats dans les domaines de la sidérurgie et de la pharmaceutique. Les matières premières nécessaires à la production des médicaments des algériens pourraient bientôt provenir de Russie.

Le ministre a également évoqué le développement de relations bilatérales en matière de tourisme, rappelant qu’une délégation d’opérateurs algériens a fait la promotion du potentiel algérien dans ce domaine pendant le forum[12].

Les entreprises russes ne sont pas les seules à lorgner sur le marché algérien. En Avril 2024, l’Algérie a conclu un accord de 3,5 milliards de dollars avec le groupe qatari Baladna, afin de développer un projet de ferme de 117 000 hectares. Ce projet, situé dans la wilaya d’Adar, devrait permettre d’ici à une dizaine d’année la production de près de deux cent mille tonnes de lait en poudre par an, soit 1,7 milliards de litre de lait grâce aux 270 000 bovins qui devraient être présent dans cette ferme. L’entreprise a également annoncé un chiffre de 84 000 bovins destinés à la production de viande. 5000 nouveaux emplois ont été annoncé[13]. La production de Baladna devrait assurer la moitié de la consommation laitière des algériens. En approuvant ce projet, le gouvernement algérien espère réduire sa dépendance aux importations et renforcer l’autosuffisance alimentaire du pays.

« Les algériens consomment en moyenne 150 livres de lait par an et par habitant, c’est un secteur dynamique », Christine Goscianski le 11/06/2024

Ce projet pose néanmoins plusieurs problématiques : d’abords parce que le développement d’une telle ferme en plein milieu d’un désert est un véritable non-sens écologique ; ensuite parce l’importation des vaches venues du Qatar devrait se faire par avion, avec du fourrage en provenance du Soudan ; enfin parce que la société Baladna est lié au fond d’investissement Hassad Food, fondé en 2008, qui investit dans l’achat de terres arables au Soudan, en Turquie, mais aussi au Kenya, en Australie, au Brésil, et même en Ukraine… au détriment d’acteurs locaux[14]. En octobre 2023, le groupe qatari a également investit 1,5 milliards de dollars dans la production laitière en Egypte[15].

 En Algérie, les investisseurs russes devront également faire face à une concurrence internationale venue d’Argentine, d’Uruguay, de Pologne, de Belgique, de France, de Nouvelle-Zélande[16] mais aussi des Etats-Unis[17].


[1] La Nouvelle Tribune, Maghreb : La Russie cible ce pays pour écouler son lait, Francis Noudé, 19/05/2024 https://lanouvelletribune.info/2024/05/maghreb-la-russie-cible-ce-pays-pour-ecouler-son-lait/

[2] Agence Ecofin, La Russie cible l’Algérie pour ses exportations de produits laitiers, Stéphanas Assocle, 17/06/2024 https://www.agenceecofin.com/lait-et-produits-laitiers/1705-118757-la-russie-cible-l-algerie-pour-ses-exportations-de-produits-laitiers

[3] TSA Algérie, Algérie : Après les vaches du Qatar, le lait russe, 22/05/2024, https://www.tsa-algerie.com/algerie-apres-les-vaches-du-qatar-le-lait-russe

[4] Algérie Eco, Après le blé, la Russie cible le marché algérien des produits laitiers, 17/06/2024, https://www.algerie-eco.com/2024/05/17/apres-le-ble-la-russie-cible-le-marche-algerien-des-produtis-laitiers/

[5] Algérie Focus, L’invasion russe dans les assiettes algériennes : comment les produits agroalimentaires russes conquièrent le marché, Ramy Bensebaini, 08/08/2024, https://www.algerie-focus.com/linvasion-russe-dans-les-assiettes-algeriennes-comment-les-produits-agroalimentaires-russes-conquierent-le-marche

[6] Maghreb Emergent, Produits laitiers : la laiterie Soummam s’apprête à importer du lait en poudre russe, 31/7/2023, https://maghrebemergent.net/produits-laitiers-la-laiterie-soummam-sapprete-a-importer-la-poudre-de-lait-de-russie/

[7] Réveil d’Algérie Média, Du lait et du beurre de Russie pour les Algériens, Ibtissem L., 29/03/2024, https://reveildalgerie.dz/FR/du-lait-et-du-beurre-de-russie-pour-les-algeriens/

[8] La Patrie News, Produits laitiers : les russes ciblent le marché algérien, 28/03/2024, https://lapatrienews.dz/produits-laitiers-les-russes-ciblent-le-marche-algerien

[9] ZoneBourse.com, La Russie prévoit d’exporter des produits laitiers en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie, Reportage d’Olga Popova, édition de Mark Trevelyan et Frances Kerry, 16/06/2024, https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/La-Russie-prevoit-d-exporter-des-produits-laitiers-en-Afrique-du-Nord-au-Moyen-Orient-et-en-Asie-46748892/

[10] Dzcharikati.net, Coopération Algérie/Russie : perspective d’investissement russe en Algérie, Zoheir Zaid, 05/06/2023, Coopération Algérie/Russie : perspective d’investissement russe en Algérie – CHARIKATI

[11] Source n°5

[12] Algérie Presse Service, Algérie-Russie : larges perspectives de coopération industrielle, 08/06/2024, https://www.aps.dz/economie/171876-algerie-russie-larges-perspectives-de-la-cooperation-industrielle

[13] Source n°5

[14] Web Agri, Plus de 200 000 vaches laitières sur une ferme de 100 000ha en Algérie, Delphine Scohy, 17/06/2024, https://www.web-agri.fr/international/article/868436/plus-de-200-000-vaches-laitieres-sur-une-ferme-de-100-000-ha-en-algerie

[15] Agence Ecofin, Le qatari Baladna veut installer une unité de production de lait en poudre en Algérie, Stephanas Assocle, 02/04/2024, https://www.agenceecofin.com/lait-et-produits-laitiers/0204-117548-le-qatari-baladna-veut-installer-une-unite-de-production-de-lait-en-poudre-en-algerie

[16] Source n°3

[17] Source n°1