Après les législatives anticipées, quel futur pour l’Arménie ?

La popularité de Nikol Pashinian semblait affectée par la défaite de la guerre des 44 jours. Certains observateurs internationaux prévoyaient une réélection difficile pour le premier-ministre sortant. Pourtant, c’est bien son parti qui sort vainqueur de ces législatives, avec près de 54% des voix dès le premier tour[1]. Ce score va lui permettre de gouverner sans recourir à une coalition.

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Après plusieurs mois de manifestations anti et pro-gouvernementales, l’abstention reste le « premier parti » d’Arménie : comme en 2018, plus d’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé aux urnes. Le parti Contrat Civil profite encore du dégagisme qui s’abat sur les partis des deux anciens présidents sur le retour. Malgré la validation du résultat par les instances de l’OSCE[2], Robert Kotcharian, tête de liste de l’Alliance Arménienne, ayant obtenu 21% des voix, a porté plainte pour fraude après sa défaite.

L’Arménie en quête de démocratie

Le conflit du Haut-Karabagh conditionne la vie politique depuis la chute de l’Union. Levon Ter-Petrossian, ancien leader du Comité Karabagh, est devenu président du Conseil suprême de la République d’Arménie le 4 Aout 1990. Né en Syrie, il émigre en Arménie soviétique à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il est emprisonné entre 1988 et 1989, avant de devenir membre du conseil du Mouvement national pan-arménien. Ter-Petrossian est élu président (cette fois par un vote populaire) en 1991 ; et réélu en 1996, malgré des plaintes déposées pour corruption par l’opposition.

Cependant, c’est ce même dossier qui va avoir raison de Ter-Petrossian. Souhaitant renégocier le statut de l’Artsakh contre l’avis de la majorité des arméniens, le président est poussé à la sortie début 1998. De nouvelles élections sont organisées et voient le candidat de la droite l’emporter : Robert Kotcharian, président de la République autoproclamée de l’Artsakh depuis 1994 et ancien Premier-Ministre de l’Arménie jusqu’en 1997, est élu président de la République d’Arménie le 30 Mars 1998 avec un peu moins de 60% des voix face au candidat communiste Karen Demirtchian. Il l’emporte une nouvelle fois en 2003 face au même parti, mené par le fils, Stepan Demirtchian[3].

En 2008, l’élection oppose Serge Sarkissian, candidat conservateur à Ter-Petrossian, de retour sans étiquette politique. Pendant la campagne, il s’attire le soutien d’une partie de la jeunesse en promettant une transparence exemplaire. Le 16 Février, les résultats donnent Sarkissian vainqueur. Une partie de la population arménienne met en doute cette victoire, car il obtient 52% des voix dès le premier tour malgré la présence de huit autres candidats au scrutin. L’opposition descend dans la rue.

Le 26 Février, une contre-manifestation est organisée en soutien au président élu. Une portion de ces manifestants finit par fraterniser avec les opposants contestataires. Le 1er Mars, devant la persistance des manifestations, le gouvernement décide d’instaurer un couvre-feu. Il déclare même l’ « Etat d’urgence » et disperse les manifestants. Les affrontements font 8 morts du côté des manifestants et deux du côté des policiers[4] ; Ter-Petrossian est envoyé en prison.

La révolution de Velours

Entre Avril et Mai 2018, une révolution pacifique contre « l’élite corrompue » vient bouleverser le jeu politique. Après deux mandats, le président de la République espère obtenir un troisième mandat de chef du gouvernement à la faveur d’une réforme constitutionnelle passée en 2015. Des voix de l’opposition s’élèvent, dénonçant un régime « à la Poutine »[5].

M. Pashinian, qui avait obtenu 8% des voix aux législatives de 2017, s’impose au fil des années comme l’opposant principal à Serge Sarkissian. Journaliste au Haykakan Jamanak (The Armenian Times) à partir de 1994, il est victime d’une tentative d’assassinat en 2004. Arrêté lors des manifestations de 2008, il est libéré en 2011. Elu en 2012 dans le parti Contrat Civil (KP), il est réélu en 2017.

A nouveau arrêté pour « participation à un acte révolutionnaire » le 22 Avril 2018, il est relâché quelques jours plus tard. Pendant ce temps, le pays est paralysé par deux semaines de manifestations. Il reste seul candidat au poste de Premier-Ministre après le retrait de Sarkissian. Il est d’abord recalé par l’Assemblée Nationale le 1er Mai (45 voix contre 55). Après une semaine de manifestations supplémentaire, il est promu au poste de PM avec 69 voix, dont celle de 10 députés républicains[6].

Les revendications principales des arméniens sont de l’ordre de la politique intérieure, massivement opposé à la corruption des gouvernements précédents : « Au-delà̀ des questions institutionnelles, la fraude et la corruption s’invitent aussi à toutes les échelles de gouvernements : l’Arménie a ainsi été classée 110e sur 183 pays par le Corruption Perception Index en 2017 »[7].

Une des raisons qui puisse expliquer la réussite de Pashinian fut sa capacité à rester en bonne entente avec les autorités russes tout en réaffirmant l’attachement des Arméniens aux « valeurs occidentales ». Il a garanti que l’Arménie ne reviendrait pas sur deux accords signés en 2017 : le « Partenariat pour la Paix » avec l’OTAN et l’ « Accord de partenariat global et renforcé » (CEPA) avec l’UE.

Ne souhaitant ni remettre en cause la participation de l’Arménie à l’U.E. Eurasiatique, à la CEI et à l’Organisation de coopération de Shanghai, le nouveau gouvernement a conscience de l’influence russe de certains secteurs stratégiques en Arménie, en particulier l’énergie (gaz comme électricité) et la défense, sujet sensible pour un pays toujours frontalement opposé à ces voisins turques et azéris (une base russe est toujours présente à Gyumri)[8].

En 2021, quel futur pour les arméniens ?

Malgré cette victoire, le premier-ministre devra tout faire pour convaincre ces concitoyens durant ce deuxième mandat. Après la défaite face au rival azerbaidjanais et l’accord de paix humiliant signé sous le regard attentif de la Russie, le parti au pouvoir peine à convaincre alors que la majorité des arméniens sont opposés à la guerre. L’impact économique du coronavirus accentue encore d’avantage ce sentiment[9]. Nikol Pachinian reste sous le feu des critiques provenant d’une partie de l’armée et des ministères de la Défense et des Affaires étrangères.

Après sa réélection, le PM a appelé les serviteurs de l’Etat à prendre leurs responsabilités, en démissionnant s’ils n’étaient pas en accord avec la politique du gouvernement[10]. Après avoir été élu grâce à sa critique du système politique, le premier-ministre ancien journaliste, est maintenant l’objet de condamnations similaires[11][12]. Il est pointé du doigt pour ces liens avec le milieu des affaires, et pour sa mainmise centralisatrice sur les décisions gouvernementales. Dans les ministères des affaires étrangères et de la défense, le bal des démissions a commencé avant les élections.

Le plus grand défi du nouveau mandat de Pachinian est sans aucun doute le rassemblement des arméniens, divisés et écœurés par le fossé qui se creuse de jours en jours entre promesses politiques et réalité du terrain. De plus, le processus de paix entre arméniens et azéris a été brisé. Cette guerre fut une guerre défensive à l’extérieur de leurs frontières nationales, la République autoproclamé d’Artsakh ne faisant toujours pas officiellement partie de la République d’Arménie.

Toujours est-il que l’Arménie est plus que jamais sous la menace d’un panturquisme revitalisé et célébré à Choucha (anciennement à majorité arménienne, désormais conquise) le 15 juin dernier par les présidents Aliyev et Erdogan[13]. En réponse, l’Arménie, de plus en plus enclavée, a tout de même prolongé de six mois l’interdiction de vente de produits turcs dans le pays[14].

Entre influence russe et pression turque : un défi arménien

Après avoir perdu la vallée de l’Araxe et le plateau de Choucha, le corridor de Lachin est redevenu le seul point de passage empruntable entre l’Arménie et l’Artsakh. La guerre c’est terminée par l’installation d’une « mission de maintien de la paix » russe entre les belligérants[15]. Trente ans après la chute de l’URSS, l’Arménie n’a toujours pas su acquérir une indépendance stratégique.

Le pays tente de diversifier ses sources d’énergie, mais il importe toujours aujourd’hui la majeure partie de l’énergie qu’il consomme : « Plus de 70% de l’énergie consommée en Arménie est importée, principalement de Russie. Ce chiffre est descendu, de 98% à 70%, grâce à la production de la centrale nucléaire de Metsamor »[16]. Cependant, c’est bien la Russie qui développe le nucléaire arménien.

La Russie est-elle encore le seul arbitre dans le conflit arméno-azéri ? La victoire de l’Azerbaïdjan étant en grande partie due à l’appui des instructeurs turcs, la question est bien légitime. A défaut d’être une puissance militaire globale, la Turquie d’Erdogan joue aujourd’hui une carte régionale. Après Chypre, la Lybie et la Syrie, l’aide procurée à l’Azerbaïdjan constitue une énième preuve de la capacité grandissante de projection de la puissance turque. Il faut rappeler que la Turquie et l’Arménie n’entretienne toujours pas de relations diplomatiques à ce jour, la Turquie ne reconnaissant toujours pas le caractère « génocidaire » de ces agissements du siècle dernier. A contrario, la Turquie devrait ouvrir prochainement un consulat à Choucha, symbole de la légitimation des dernières conquêtes azéries[17]. Mais il n’est nulle part mention de la Turquie dans les accords de paix, comme l’aurait souhaité Ankara.

La réaction temporisatrice de la Russie peut être interprétée de la manière suivante : L’Azerbaïdjan reste un partenaire pour la Fédération ; afin de ne pas compromettre leurs relations futures, la Russie a donc attendu que l’armée azérie transgresse les frontières de l’Artsakh telle que reconnue en 1991 pour intervenir. Ainsi, l’état russe se protège de toute accusation en matière de non-respect du droit international. Une chose est certaine : cette intervention tardive devrait favoriser le rapprochement entre l’Arménie et les instances européennes pour les années à venir[18].

Sources :

  1. Le Monde, Législatives en Arménie : Nikol Pachinian largement vainqueur, son adversaire conteste les résultats, 20/06/21 – https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/20/les-armeniens-ont-vote-pour-les-elections-legislatives-anticipees_6084917_3210.html
  2. Conférence Internationale de la Mission d’Observation de l’OSCE, Erevan, 21 Juin 2021 – https://www.osce.org/odihr/elections/armenia/486041 
  3. MOURADIAN (C.), L’Arménie, coll. Que sais-je ?, PUF, 2013 
  4. LANSKOY (M.) et SUTHERS (E.), Armenia’s Velvet Revolution, Journal of Democracy, vol.30, N°2, April 2019 
  5. Vocabulaire que l’on a peut entendre dans la rue lors des manifestations comme dans les médias d’oppositions 
  6. Référence n°3 
  7. Article du magazine Mondes Sociaux, La « révolution de velours » arménienne – 24/01/19 – https://sms.hypotheses.org/16728 
  8. Référence n°2 
  9. L’Humanité, Encore sous le coup de la défaite, les Arméniens vont aux urnes, 17/06/21 -https://www.humanite.fr/caucase-encore-sous-le-coup-de-la-defaite-les-armeniens-vont-aux-urnes-711227 
  10. Nouvelles d’Arménie, Pachinian veut procéder à des changements radicaux, Juin 2021 – https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=80317 
  11. Nouvelles d’Arménie, Nikol Pashinian : une main de fer au service de la révolution de velours ? – https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=32307 
  12. Nouvelles d’Arménie, Les critiques fusent au parlement concernant le bilan de Pachinian, Avril 2021- https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=10779 
  13. Anadolu Agency, Turkey and Azerbaidjan sign Shusha Declaration to boost defense cooperation, 15/06/21 – https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/turkey-azerbaijan-sign-shusha-declaration-to-boost-defense-cooperation/2274968 
  14. Nouvelles d’Arménie, L’Arménie prolonge de six mois l’interdiction d’importer des produits de Turquie, Mai 2021 – https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=80157 
  15. Le Devoir, Haut-Karabagh : la Russie déploie sa mission de maintien de la paix, 23/11/2020 – https://www.ledevoir.com/monde/589459/haut-karabakh-la-russie-deploie-ses-forces-de-maintien-de-la-paix 
  16. Article du journal Papiers d’Arménie, Entre solaire et nucléaire : l’énergie, un outil d’indépendance pour l’Arménie – 05/02/18 
  17. Euronews, Bientôt un consulat turc à Choucha dans le Haut-Karabagh, 16/06/21 – https://fr.euronews.com/2021/06/16/bientot-un-consulat-turc-a-choucha-chouchi-dans-le-haut-karabakh 
  18. Le Courrier de Erevan, Les ministres des Affaires Etrangères de l’UE se rendent en Arménie, 29 mai 2021 – https://www.courrier.am/fr/actualite/les-ministres-des-affaires-etrangeres-de-lue-se-rendent-en-armenie 

Article rédigé pour la SDSA. Retrouvez l’ensemble des articles du Département Journalisme sur le site de la Swiss Diplomacy Student Association sur https://sdsa-geneve.ch/.